L'esprit trail des pionniers de la discipline avec son cortège de sportivité, de solidarité et de convivialité serait menacé. C'est Maël Nivinou qui tire la sonnette d'alarme au lendemain de sa 6e place sur le Trail de l'Aber Wrac'h. Son coup de gueule porte à la fois sur l'anarchie qui règne trop souvent par rapport au règlement des trails - notamment la notion d'assistance -  et sur le manque de savoir-vivre de certains traileurs. Bref, selon lui, c'est l'esprit trail lui-même qui serait en train de foutre le camp. Un avis qu'il n'est pas le seul à partager même s'il est loin de trouver écho dans tout le milieu. La parole à quelques acteurs d'une discipline qui connaît depuis quelques années un engouement sans cesse croissant.

Plus précisément, voilà le premier point que dénonce Maël Nivinou sur son compte Facebook. "A chaque trail, je lis le règlement de la course. Sur le Trail de l'Aber Wrac'h, il était stipulé : aucune asistance. Je respecte ce choix même si je suis contre. Alors, j'ai fait l'effort de prendre mon camelback et de le charger en nourriture pour tenir 60 kilomètres. Mais voilà que je remarque à l'avant de la course que certains coureurs qui jouent le podium prennent le départ avec juste une flasque... QUESTION : Comment font-ils pour se ravitailler en solide sur une course de 60 kilomètres où il n'y a pas de ravitos solide ?  Avec assistance, j'aurai peut-être fini sur le podium ce week-end. Je finis 6e avec un mal de ventre car plus de ravitaillement solide mais pas grave, j'en suis très heureux. Je me suis dépassé. Ma compagne et ma fille sont fières. Mais j'ai l'impression que l'esprit trail disparaît. La performance prime dorénavant. Et non plus le plaisir. Alors, aux coureurs d'être réglos. Aux organisateurs aussi peut-être de revoir  la notion d'assistance ou les barrières horaire trop courtes dans leur règlement même si j'ai conscience qu'un trail, c'est très compliqué à organiser."

Des difficultés confirmées par l'organisation du trail de l'Aber Wrac'h qui mise avant tout sur... l'honnêteté des coureurs. "Il est déjà difficile de trouver des commissaires de course. Alors s'il faut en mettre tout le long du parcours..." Hervé Tymen, organisateur du Trail de la Salamandre (1 mai) voit quant à lui un rapport de cause à effet entre massification des courses et comportement hors norme.

"C'est le revers de la médaille. Beaucoup d'épreuves se complètent aujourd'hui en quelques jours, voire quelques heures. Cet engouement peut engendrer des problèmes et faire que l'esprit trail se dégrade comme l'esprit Spiridon pour les courses sur route." Le Plomelinois Thomas Le Lons renchérit en y introduisant une réserve toute personnelle: "C'est un sport qui grimpe et on voit de plus en plus de monde sur les courses donc forcément ça amène des gens avec des mentalités différentes... En revanche, sur des courses bretonnes telles que l'Aber Wrac'h, j'estime qu'on peut partir sans sac et sans avoir d'assistance. Pour ma part, j'avais une ceinture avec trois flasques, de la poudre énergisante et 4 gels."

Un coup de gueule - celui de Maël -  qu'Alexandre Audo, le traileur de l'Elan du Porzay, peut comprendre. " Ce qui me gêne également, ce sont les objets obligatoires à avoir sur les grosses courses, le sifflet, la couverture de survie, le coupe-vent, gobelet, téléphone. A chaque fois, je prends tout pour éviter des pénalités lors des contrôles mais il n'y en a pas et des coureurs partent sans tout ça, ce qui rend bien plus léger." L'ultra traileur du Porzay tient cependant à tempèrer le jugement de Maël Nivinou : "Ce que dénonce, Maël, c'est surtout vrai sur les grosses courses."

Et Valentin Piques, le Plozévetien de Team Trail Finistère abonde dans son sens. "Je ne pense pas qu'il faille généraliser les propos de Maël. Il est peut-être tombé sur des personnes où la performance prime coûte que coûte et où l'esprit convivial s'étiole. Pour ma part, j'ai pu remarquer cet état d'esprit pour la première fois le week-end dernier mais c'était lors d'un championnat de France où chacun joue une place." La traileuse Victoire Alzon synthétise. "Pour moi, cet état d'esprit va dépendre de plusieurs facteurs relatifs à la course en elle-même : le groupe organisateurs, la distance, le nombre de participants, le lieu etc..."

Autre point  qui agace sérieusement Maël Nivinou : le manque de respect ou l'indifférence envers les bénévoles, représentatif de l'excès d'individualisme de certains membres du peloton. "Beaucoup de coureurs ne disent même pas bonjour ou merci aux bénévoles qui nous sécurisent et encouragent quand on passe à leur niveau. Ca coûte rien pourtant et ça leur fait plaisir. Autre chose : au km 20, j'ai essayé de discuter avec certains coureurs de mon groupe... Pas un seul mot ! Vous étiez à bloc ou quoi ? Ou pas envie de discuter et concentré ? Vous passerez pas Pro, les gars..."

Qu'en dit Alex Audo ? "J'aime bien discuter avec des coureurs et même rigoler mais pour certains, c'est même pas la peine d'espérer un salut. Pourtant, j'aime bien l'humour quand nous sommes dans le dur." Valentin Piques ? "J'essaye toujours de garder un petit mot pour les bénévoles et même envers quelques coureurs." Sur le ressenti des bénévoles, Régis Campion organisateur en chef du tout récent trail de la Trace, ne note en revanche aucune remarque désobligeante. "Je n'ai pas eu de retours négatifs, au contraire. A priori, les coureurs étaient très polis et vu la fréquentation de la buvette après la course, je serais tenté de dire que les coureurs étaient contents d'être ensemble."

Sur ce point, Victoire Alzon est sur la même longueur d'onde. "Pour ce qui est de l'égoïsme de certains coureurs ou de l'indifférence envers les bénévoles, je ne l'ai pas vraiment perçu mais je participe plus à des événements locaux qu'à des trails à renommée nationale. Participer au 18 kms du Douarnenez Urban Trail ou à l'UTMB, ce n'est pas la même chose."

C'est exactement ce que dit le speaker et traileur Jean-Luc Gestin qui a une longue expérience et une vision globale de la discipline. "Peut-être pour une analyse plus fine (merci Jean-Luc !) faut-il distinguer les grandes courses qui rassemblent plus de 2500-3000 coureurs et dans lesquelles il y a forcément quelques concurrents pertubateurs et toutes les autres courses (de 300 à 1000 concurrents) que je connais mieux depuis de nombreuses années. Et sur toutes ces courses que j'ai animées dans le Finistère Sud, je n'ai pas souvenir d'un seul incident. Certes, il y a un peu de bagarre sportive pour les premières places mais l'esprit trail est bien présent autour des valeurs fondamentales d'une vie harmonieuse en société : simplicité, humilité, solidarité, convivialité.

Et j'ai le sentiment que la relation est très cordiale entre les bénévoles et les partcipants de manière générale. A l'image de la société, Il y aura toujours quelques râleurs mais la très grande majorité des participants viennent dans un esprit simple, sans prétention. Personnellement, je suis très optimiste et confiant pour l'avenir des trails." Victoire Alzon encore. "Pour moi, le trail c'est le défi sportif, l'entraide et la convivialité après l'effort physique. Avec un repas en fin de course pour réunir tout le monde autour d'une Pietra (Là, c'est la Corse qui parle! ) et de bons produits locaux." Des commentaires qui mettront un peu de baume au coeur de Maël Nivinou ? C'est tout ce qu'on peut souhaiter !

Rubrique Carte Blanche à Marc Férec

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